Introduction
Les types de conflits militaires sont classés en « générations » de guerres. Cette typologie comptabilise aujourd’hui cinq générations de guerres, chacune marquée par des changements dans les stratégies déployées, les technologies utilisées et les acteurs impliqués.
Nous devons le concept de « générations de guerre » à des penseurs militaires occidentaux, comme William Lind, un théoricien américain de la guerre du XXe siècle. Il est surtout connu pour avoir développé le concept de « guerre de quatrième génération », mais il a également identifié les quatre premières générations de la guerre.
1ère génération : La guerre linéaire (XVIIe-XIXe siècle)

Il s’agit de la guerre classique, de celle à laquelle on pense spontanément sous l’influence des films d’époque et des épopées napoléoniennes. Cette génération est apparue après la paix de Westphalie (1648), et elle est dominée par les armées professionnelles des États-nations.
Caractéristiques
Cette première génération se caractérise par :
- Des batailles rangées, en lignes et colonnes.
- Un usage limité de la puissance de feu (mousquets, artillerie de campagne), l’utilisation de l’arme blanche au corps-à-corps (baïonnette).
- Une discipline et des formations militaires strictes.
- Des conflits entre des États bien définis.
Les exemples les plus connus sont certainement les guerres napoléoniennes, ainsi que la guerre de Sécession.
L’effet final recherché est la destruction de l’armée ennemie sur le champ de bataille.
Auteurs
Parmi les théoriciens de cette première génération, il faut citer :
- Carl von Clausewitz (1780-1831) :
- Dans De la guerre (1832), il définit la guerre comme la « continuation de la politique par d’autres moyens » et met en avant la notion de guerre totale.
- Il insiste sur l’importance de la discipline, du moral et du génie du commandant.
- Antoine-Henri Jomini (1779-1869) :
- Dans Précis de l’art de la guerre, il décrit la guerre comme une science où l’application rigoureuse des principes stratégiques (lignes d’opération, points décisifs) permet la victoire.
2e génération : La guerre industrielle (XIXe-XXe siècle)

Cette deuxième génération voit apparaître de nouveaux moyens de combattre, avec l’aviation et les chars, ainsi que de nouveaux moyens de communication (télégraphe) et de locomotion (chemins de fer).
Elle est guidée par une logique industrielle qui implique la mobilisation massive d’un nombre important de soldats et d’une production rapide et considérable d’armes et de munitions.
Caractéristiques
Cette deuxième génération se caractérise par :
- Une logique industrielle qui aboutit à la production massive d’armes et de munitions.
- L’utilisation massive de l’artillerie et des mitrailleuses.
- Des lignes de front plus statiques (guerre de tranchées). La guerre de position remplace ainsi la guerre de mouvement.
- Un usage accentué de l’artillerie, des blindés, de l’aviation.
- Un commandement centralisé et une doctrine militaire rigide.
L’exemple le plus connu est évidemment la Première Guerre mondiale (1914-1918). L’on peut également citer la guerre franco-prussienne (1870-1871) qui impose les premières mobilisations de grande ampleur.
Auteurs
Parmi les théoriciens de cette première génération, il faut citer :
- Helmuth von Moltke (1800-1891) :
- C’est lui qui modernise l’armée prussienne avec le chemin de fer, le télégraphe, et la mobilisation rapide.
- Il favorise également les grandes opérations de logistique et de feu à longue portée.
- Hans Delbrück (1848-1929) :
- Distingue la guerre d’anéantissement (Napoléon, Clausewitz) et la guerre d’usure (qui deviendra la base des conflits modernes).
3e génération : La guerre de manœuvre (XXe siècle)

Cette troisième génération voit le développement des tactiques d’assaut rapides et de la fameuse blitzkrieg : la « guerre éclair », c’est-à-dire la doctrine militaire développée par l’Allemagne nazie avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. La blitzkrieg repose sur l’utilisation combinée de forces blindées, aériennes et d’infanterie motorisée pour percer rapidement les lignes ennemies, désorganiser les défenses et exploiter la vitesse pour empêcher l’adversaire de réagir efficacement.
Caractéristiques
Cette troisième génération se caractérise par :
- Une guerre basée sur la vitesse, la surprise, la mobilité et les manœuvres rapides.
- Des tactiques de débordement et de percées rapides.
- L’usage massif des blindés, des parachutistes, et de l’aviation pour percer les lignes ennemies.
- Un commandement plus flexible et décentralisé.
L’exemple le plus éloquent est évidemment la Seconde Guerre mondiale. La première application de la Blitzkrieg a eu lieu en Pologne, en 1939, et l’armée polonaise a été écrasée en quelques semaines. Par la suite, en 1940, le contournement de la ligne Maginot et la percée dans les Ardennes ont produit l’effondrement rapide de l’armée française.
Plus proche dans le temps, nous pouvons également citer la guerre des Six Jours (1967) ; l’offensive éclair de l’armée israélienne avec les chars et l’aviation lui a permis de remporter la victoire en quelques jours.
Lors de la guerre du Golfe, en 1991, l’opération « Tempête du désert » a permis aux USA de détruire rapidement les forces irakiennes grâce à leur supériorité technologique.
Auteurs
Parmi les théoriciens de cette troisième génération, il faut citer :
- Basil Liddell Hart (1895-1970) :
- Il a développé le concept de « Stratégie indirecte », qui privilégie la mobilité et la surprise plutôt que l’attaque frontale.
- Il a influencé les doctrines allemandes de la Blitzkrieg.
- John Boyd (1927-1997) :
- Il a théorisé le cycle OODA (Observation – Orientation – Décision – Action) : celui qui agit plus vite que l’adversaire gagne la guerre.
- Son modèle a influencé les doctrines modernes de combat.
4e génération : La guerre asymétrique et informationnelle (XXe-XXIe siècle)

Cette quatrième génération a été théorisée par William Lind dont nous parlions dans l’introduction. Il s’agit d’un type de conflit caractérisé par la lutte asymétrique, la décentralisation des forces et l’implication d’acteurs non-étatiques, come des groupes terroristes ou des milices, qui utilisent des stratégies de guérilla, de propagande et d’influence psychologique.
Selon Lind, la guerre de quatrième génération est marquée par la complexité des enjeux sociaux, politiques et culturels, et cette complexité rend difficile la victoire militaire traditionnelle, puisqu’il n’y a plus d’armée ennemie à vaincre ou d’Etat adverse à vaincre.
Caractéristiques
Cette quatrième génération se caractérise par :
- La disparition des lignes de front claires.
- L’implication de groupes non étatiques (terroristes, miliciens).
- L’importance de la propagande, de la guerre psychologique et médiatique.
- L’utilisation d’attaques hybrides (cyberattaques, sabotage, désinformation).
- Des conflits de longue durée visant à épuiser l’ennemi plutôt qu’à le vaincre militairement dans les plus brefs délais.
La guerre du Vietnam et les interventions américaines en Afghanistan et en Irak après les attentats du 11 septembre 2001 sont assurément les exemples les plus connus et les mieux documentés.
Auteurs
Parmi les théoriciens de cette quatrième génération, il faut citer :
- William S. Lind (1989) :
- Il a défini la guerre de 4e génération comme une guerre sans front, où l’ennemi est diffus et utilise des moyens non conventionnels.
- Il a insisté sur l’importance de la guerre psychologique et de l’information.
- David Kilcullen (2006) :
- C’est un spécialiste de la contre-insurrection qui a théorisé les guerres de type guérilla et terrorisme.
5e génération : La guerre cognitive et diffuse (XXIe siècle)

Le concept de « guerre de cinquième génération » a émergé dans les discussions sur l’évolution des conflits modernes, mais il n’est pas attribué à un seul théoricien. Plusieurs penseurs et analystes militaires ont contribué à sa définition et à son développement.
La guerre de cinquième génération est souvent décrite comme une guerre où les acteurs non étatiques, les cyberattaques, la désinformation et l’influence psychologique jouent un rôle prédominant, encore plus important que dans la guerre de quatrième génération.
La 5e génération met l’accent sur l’importance de la perception et de la narration dans le conflit. Les adversaires peuvent ne pas être clairement identifiables et le champ de bataille peut s’étendre à des domaines comme les médias sociaux et l’espace numérique.
Caractéristiques
Cette quatrième génération se caractérise par :
- Guerre de l’information et des perceptions (fake news, IA, influence cognitive).
- Cyberattaques ciblant infrastructures critiques (énergie, banques, hôpitaux).
- Guerre de l’information, et utilisation des réseaux sociaux pour manipuler l’opinion publique.
- Implication d’acteurs variés (hackers, multinationales, États, sociétés militaires privées).
- Hybridation totale entre guerre économique, cyberattaque et manipulation psychologique.
- Pas de champ de bataille physique défini. Pas de confrontation militaire directe nécessaire.
- Utilisation de sanctions économiques comme armes stratégiques.
Auteurs
Parmi les théoriciens de cette cinquième génération, il faut citer :
- Peter W. Singer :
- Il explique comment Internet et les réseaux sociaux sont devenus un champ de bataille.
- Il montre que les guerres modernes passent par la désinformation et la manipulation des perceptions.
- Michel Goya :
- Il met en avant le concept de guerre « sans contact », où la technologie réduit la nécessité des interventions directes.
Conclusion
Historiquement, on observe une évolution des guerres vers des formes moins conventionnelles, moins directes et moins brutales, mais plus insidieuses. On est passé d’une guerre physique (de 1ère à la 3e génération) à une guerre plus diffuse et psychologique (4e et 5e génération).
Tandis que la première génération reposait sur des armées en uniforme qui s’affrontaient en bataille rangée, la cinquième génération repose quant à elle sur la manipulation de l’information et sur la guerre cognitive. Aujourd’hui, les conflits ne nécessitent plus forcément d’armes physiques : une attaque numérique ou une campagne de désinformation bien orchestrée peuvent déstabiliser un pays.